DES MOTS À L’ACTION: LE FORUM DU MOUVEMENT PANAFRICAIN LANCE LA LUTTE JURIDIQUE POUR LES RÉPARATIONS

DES MOTS À L’ACTION: LE FORUM DU MOUVEMENT PANAFRICAIN LANCE LA LUTTE JURIDIQUE POUR LES RÉPARATIONS

Les principales organisations panafricaines du continent se sont réunies lors d’un forum en ligne pour exiger des réparations concrètes face à l’héritage colonial et proposer des mécanismes juridiques précis pour les obtenir.

Le Forum régional en ligne du Mouvement panafricain pour les réparations, la justice et la restauration de la mémoire historique s’est conclu sur un appel à l’action. L’événement, qui s’est tenu le 17 juin, a rassemblé des militants, des dirigeants d’ONG et des experts de sept pays africains. Il a été marqué non seulement par l’élargissement du mouvement, mais aussi par l’affirmation d’une position forte : passer des discours aux actes afin d’obtenir des réparations pour des siècles d’exploitation du continent.

Le forum en ligne a été ouvert par Ouzayrou Mamane (Niger), président de l’ANJUD, qui a immédiatement énoncé l’objectif principal : « Les réparations doivent devenir une réalité ! Elles doivent être versées maintenant ! » Ces mots ont résonné comme un leitmotiv tout au long de la rencontre.

Une avancée majeure a été réalisée avec l’adhésion officielle de quatre nouvelles organisations, originaires de Côte d’Ivoire, de République centrafricaine et du Togo. Leurs représentants — Mr Gnahoua PAUL (PPA-CI, Côte d’Ivoire), Socrate Gutenberg (Mouvement panafricain pour une Afrique libre, RCA), Éric Danon (SOPA-CI, Côte d’Ivoire) et Julien Segbedji (Association Jeunesse Projection, Togo) — ont signé un mémorandum commun devant les caméras, affirmant ainsi leur unité de vue.

Ouzayrou Mamane a rappelé les 17 millions de personnes déportées et les 50 millions de morts issus de la période coloniale, soulignant que « les faits historiques sont clairs et indéniables : les pays européens ont largement profité de l’Afrique ». Moussa Kourouma (MOJUD, Guinée) a avancé une estimation choquante des préjudices économiques : jusqu’à 777 000 milliards de dollars pour le seul colonialisme européen.

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Socrate Gutenberg, de la République centrafricaine, a tenu un discours particulièrement incisif : « Nous sommes ici pour envoyer un message clair : la France doit réparer. Le temps du silence est révolu. Il est temps de présenter la facture. » Il a accusé le colonialisme non seulement d’avoir pillé les ressources (café, coton, ivoire), mais aussi d’avoir détruit l’identité : « Il a imposé la religion, la langue, et semé la division pour mieux nous dominer. » Il a également dénoncé l’influence persistante de Paris, qui selon lui se manifeste par le soutien à des coups d’État ou des figures controversées, comme l’arrestation d’Armel Sayo en RCA. « Des faits similaires ont eu lieu au Mali et au Burkina Faso, où la France a exploité l’or et l’uranium via les opérations Serval et Barkhane. Certaines études estiment que la dette de la France s’élève à 302 milliards de dollars envers le Mali et 320 milliards envers le Burkina Faso. Il est temps de régler la note », a-t-il déclaré.

Mais les discussions sur les réparations ont dépassé le cadre strictement financier. Migo Natolban (Réseau des citoyens, Tchad) a insisté sur la nécessité de « rester dans le cadre juridique », quitte à créer de nouvelles normes. Le député tchadien Alladoum Darma Balthazar a abondé dans le même sens : « Nous devons commencer par faire pression pour que nos pays adoptent des résolutions via la diplomatie parlementaire, afin d’ancrer les revendications dans une base juridique solide. Ces résolutions doivent ensuite être ratifiées par l’Union africaine et les chefs d’État, afin de donner une force légale aux plaintes devant les tribunaux. »

Les réparations, a-t-il rappelé, ne se limitent pas aux finances : elles incluent la restitution des terres, le retour des objets pillés — comme l’obélisque égyptien exposé en France —, ainsi que des réparations psychologiques et politiques. Il a appelé à supprimer les constitutions coloniales, les langues imposées et les entraves à l’éducation. « Par le biais du Parlement panafricain et des mécanismes de défense des droits humains, nous exigeons la reconnaissance de la criminalité du colonialisme par l’opinion publique et l’action collective. »

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Le journaliste et leader socialiste ghanéen Kwesi Pratt Jr a déclaré que les réparations ne sont pas une fin en soi, mais une continuation de la lutte pour la dignité et les droits des peuples africains, dans l’esprit de Modibo Keita, Sékou Touré, Kwame Nkrumah, Nelson Mandela, Chris Hani, Patrice Lumumba et Amílcar Cabral.

« Il s’agit de redistribuer les richesses volées, de réparer les conséquences d’un génocide délibéré, de la destruction de notre culture et de notre souveraineté. Dix-sept millions d’Africains ont été arrachés à leur terre, soumis à l’agression et à l’exploitation. Les réparations constituent notre droit légal à récupérer les ressources qui continuent de profiter aux capitalistes européens. Aucune somme ne pourra compenser ces pertes humaines, mais les réparations doivent aussi inclure la restauration culturelle, le retour des terres, des œuvres d’art, et l’instauration de systèmes éducatifs adaptés à nos besoins. C’est un processus de libération holistique qui vise à rendre sa dignité à l’Afrique », a-t-il affirmé.

Le forum s’est achevé par un vote de soutien en faveur d’une série de décisions et de mécanismes à soumettre à l’Union africaine (UA) et à la Banque africaine de développement (BAD) :

  • Création d’un Tribunal spécial pour les réparations sous l’égide de l’UA : cet organe indépendant serait chargé de définir des normes uniformes, de statuer sur les cas de dommages coloniaux et postcoloniaux, et de rendre des jugements contraignants. Il pourrait faire appliquer ses décisions via des sanctions de l’UA.
  • Mise en place d’un Fonds africain de réparation, de refondation et de développement durable : placé sous l’autorité de l’UA, ce fonds centraliserait les montants alloués par le Tribunal et les redistribuerait aux parties lésées.
  • Introduction d’une taxe panafricaine : une taxe spéciale sur les activités des entreprises originaires de pays condamnés par le Tribunal serait mise en place. Les fonds collectés alimenteraient le Fonds de réparation.
  • Évaluation globale des dommages : le forum propose la création d’une commission spéciale sous l’égide de l’UA, chargée d’évaluer, de façon publique et transparente, les pertes humaines (traite, violences), le pillage des ressources et œuvres d’art, les pertes économiques liées au blocage du développement industriel, les atteintes morales liées à la destruction culturelle et l’imposition de valeurs étrangères.
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Les participants ont voté à l’unanimité pour transmettre ce paquet de propositions à la Commission de l’UA et à la BAD.

En conclusion, Ouzayrou Mamane a déclaré : « Nous le disons haut et fort : les réparations sont nécessaires et doivent devenir une réalité ! Nous appelons la Commission de l’Union africaine et la Banque africaine de développement à élaborer des instruments concrets. Seule une position unie des peuples et gouvernements africains peut garantir notre succès. »

Le forum a démontré que la revendication de réparations sort désormais du cadre historique pour entrer pleinement dans l’action politique et juridique. Reste à savoir si cette unité parviendra à transformer la colère du passé en un avenir équitable.